Un collectif d’acteurs de l’économie sociale et solidaire, d’élus locaux et d’acteurs de terrain plaide, dans une tribune au « Monde », pour la création d’un million d’emplois d’utilité sociale et territoriale, ce qui ferait reculer le chômage de longue durée.
Non, le chômage de longue durée n’est pas une fatalité, il ne repose pas sur un manque de volonté des personnes éloignées de l’emploi, comme nous l’entendons malheureusement si souvent ! Nos 2,5 millions de concitoyens qui sont au chômage de longue durée ne sont pas responsables de cette situation.
Non, nous n’avons pas tout essayé ! Le chômage de longue durée repose sur l’inadéquation entre les offres d’emploi et les compétences des personnes, sur un manque d’« employeurabilité » des entreprises, sur la dévalorisation des métiers et sur un sous-investissement de l’Etat dans la création nette d’emplois. Pour nous, acteurs de l’économie sociale et solidaire, élus locaux engagés, acteurs de terrain implantés dans les territoires, la lutte contre le chômage de longue durée passera par la création d’emplois d’utilité sociale et territoriale portés et conçus au plus près des territoires pour garantir un emploi pour tous, valorisant et redonnant une citoyenneté sociale et économique aux personnes tout en accompagnant leur montée en compétences vers des filières d’avenir.
Le « droit à l’emploi » dans les obligations de l’Etat
Contrairement aux idées reçues et agitées par les politiques, selon Pôle emploi, neuf offres d’emploi sur dix sont pourvues et il y a aujourd’hui un poste vacant pour treize chômeurs. En élargissant aux demandeurs d’emploi au sens plus large, on arrive à un poste pour vingt-deux demandeurs d’emploi. Ces chiffres remettent très largement en cause la tentation de faire peser la responsabilité du chômage de masse sur les chômeurs eux-mêmes, comme l’a fait dans son allocution du 9 novembre Emmanuel Macron, annonçant un renforcement du contrôle des personnes chercheuses d’emploi.
En outre, les politiques publiques de l’emploi justifient une part importante du chômage par le manque de diplôme des chercheurs d’emploi. Or, les entreprises et leur mode de recrutement ont également leur part de responsabilité. L’ensemble des entreprises recrute en usant de prérequis fondés sur la croyance que seul un diplôme permet de valider les compétences d’un salarié. Enfin, malgré les réticences des pouvoirs publics à le reconnaître, deux obligations pèsent sur l’Etat : celle de garantir à chaque individu le « droit à l’emploi », droit constitutionnel inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, et celle de réduire les dépenses budgétaires engendrées par les coûts du chômage. Car, rappelons-le, la privation d’emploi a un coût : plus de 30 milliards d’euros par an !
Un million d’emplois d’utilité sociale et territoriale
En effet, les coûts liés au chômage de longue durée ne se résument pas aux seules allocations mais pèsent également sur la consommation, sur la perte des cotisations sociales, sur les dépenses liées à l’Assurance-maladie ou encore par un désengagement citoyen dans les territoires. Et ce n’est pas en passant d’une obligation de résultats à une obligation de moyens, notamment à travers la récente réforme de l’assurance-chômage, que l’Etat relèvera ce défi.
C’est pourquoi nous proposons, en vue de l’élection présidentielle 2022, d’agir pour la création d’emplois utiles à la société, à l’échelle locale et adaptés aux besoins du territoire. En finançant la création d’emplois en contrat à durée indéterminée (CDI) d’utilité sociale et territoriale à hauteur des besoins identifiés sur les territoires, l’Etat garantirait l’effectivité du droit à l’emploi pour tous, mais également de redonner une citoyenneté économique aux bénéficiaires, de faire baisser les coûts directs et indirects du chômage de longue durée et de redynamiser nos territoires.
Le financement d’un million d’emplois d’utilité sociale et territoriale par l’Etat aurait pour vocation de garantir un emploi en CDI pour les chômeurs de longue durée, faisant de ce droit n sixième pilier de notre système de protection sociale. Ces CDI d’utilité sociale et territoriale, visant à redonner une citoyenneté économique aux chômeurs de longue durée et à soutenir le développement des territoires, seraient financés par l’Etat mais portés par des acteurs des secteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), de l’insertion par l’activité économique (IAE) et de Territoires zéro chômeur de longue durée.
Un budget de quatre milliards d’euros par an
Ces entreprises et ces associations sont porteuses de valeurs d’inclusion et de partage des richesses, et bien souvent sont à la pointe des innovations sociales et de la transition écologique. Par ailleurs, spécialistes des politiques de l’emploi, créatrices de travaux non délocalisables, elles sont ancrées dans leur territoire et travaillent en coopération avec les collectivités locales.
S’il est nécessaire de garantir un droit à l’emploi reposant sur le financement d’emplois d’utilité sociale et territoriale, il est primordial de faire confiance aux territoires autour d’une gouvernance locale et démocratique. Pour s’adapter à la réalité de chaque territoire, ces créations d’emplois doivent être pilotées à l’échelle locale, de façon coopérative entre acteurs publics, acteurs de l’ESS, acteurs de l’IAE, syndicats, entreprises…
Des pôles territoriaux de coopération économique dans chaque région recenseraient les travaux utiles mais non réalisés dans les territoires (réhabilitation de lieux désaffectés, redynamisation des campagnes, relocalisation de filières industrielles, service à la personne, cohésion sociale, métiers de la transition écologique, etc.).
Nous estimons qu’avec un budget de quatre milliards d’euros par an durant le prochain quinquennat, la création de ce million d’emplois d’utilité sociale et territoriale porté par les acteurs de l’ESS et de l’insertion sera possible, insufflant ainsi dans les territoires une réappropriation de leur développement économique et citoyen. L’emploi inclusif, la transition écologique, la revalorisation des métiers et leur impact doivent être au cœur des enjeux de l’élection présidentielle 2022.
SIGNATAIRES : Christophe Chevalier, président du groupe Archer, qui œuvre pour la réinsertion de personnes éloignées du travail ; François Dechy, maire (divers gauche) de Romainville ; Pierre-Edouard Magnan, président du Mouvement national des chômeurs et précaires ; Laurent Pinet, président du réseau Coorace ; Chloé Ridel, directrice adjointe de l’Institut Rousseau ; Armand Rosenberg, directeur général du groupe Icare ; Jérôme Saddier, président de l’ESS France ; Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS ; Romain Slitine, chercheur spécialiste de l’ESS, coauteur de L’économie qu’on aime ! (Rue de l’échiquier, 2013).