Un emploi sur six serait menacé au sein des associations, qui comptent 1,8 million de salariés, selon le Collectif des associations citoyennes. Une destruction sans précédent du tissu associatif ! En cause : le pacte de responsabilité, qui devrait amputer les budgets des collectivités locales de 29 milliards d’ici 2017. Première concernée : l’action sociale et sanitaire, au cœur de la lutte contre les inégalités. Pour éviter ces pertes d’emplois, le gouvernement étudie la possibilité de créer des « obligations à impact social » permettant à des investisseur privés de placer leurs capitaux dans le secteur associatif, en échange d’un taux d’intérêt versé par l’État. Une quarantaine de réseaux associatifs appellent à une mobilisation le 3 octobre prochain.
Le quinquennat de François Hollande comptera-t-il à son bilan la destruction du tissu associatif ? Entre plan de rigueur et projet de réforme territoriale, le Collectif des associations citoyennes (CAC), qui regroupe un millier d’associations, vient de réaliser une estimation des emplois menacés. Selon ses calculs, 25 000 emplois dans le milieu associatif pourraient être supprimés en 2014, 65 000 en 2015, près de 80 000 en 2016 et 95 000 en 2017 ! Ce sont plus de 265 000 salariés dans l’action sociale ou culturelle, la santé, l’éducation populaire, les services à la personne, la protection de l’environnement ou la solidarité qui seraient sur la sellette. Près de 15 % des emplois du secteur associatif – 1,8 millions de salariés à temps plein ou partiel (auxquels s’ajoutent plus des 16 millions de bénévoles actifs) – pourraient ainsi disparaître d’ici trois ans.
« Ceci confirme l’existence d’un énorme plan social invisible sur tout le territoire », lâche Didier Minot, fondateur du CAC (notre précédente enquête). « C’est une terrible remise en cause du modèle social qui s’est construit depuis deux siècles. Nous allons vers une société beaucoup plus inégalitaire et atomisée. » Ces données sont la face cachée d’un « pacte de responsabilité » qui devait créer 500 000 emplois selon le gouvernement – un objectif sur lequel est d’ailleurs revenu le ministre des Finance Michel Sapin –, grâce aux mesures avantageant les entreprises. Au risque également de profondément déstabiliser les finances de la Sécurité sociale (voir ici).
Les associations, variable d’ajustements ?
Pour réaliser cette estimation, le Collectif s’est appuyé sur les annonces gouvernementales liées au pacte de responsabilité. « Il apparaît aujourd’hui que l’objectif est de parvenir à une baisse permanente du niveau de l’action publique de 50 milliards, en exigeant des « efforts » (restrictions) comparables sur les différents budgets de l’action publique, observe le CAC. De ce fait, la perte des moyens pour les services publics n’est pas de 50 milliards mais du double ». Soit, selon le CAC, 100 milliards d’euros en trois ans, les coupes budgétaires se cumulant jusqu’en 2017 [1]. Le ministre des Finances Michel Sapin vient toutefois d’admettre que le gouvernement ne réalisera pas les 21 milliards d’euros d’économies qu’il avait prévu en 2015.
Quoi qu’il en soit, 49 % du budget global des associations (évalué à 85 milliards d’euros) repose sur des financements publics. Elles pourraient être fortement touchées par la baisse de la dotation globale de fonctionnement aux collectivités qui, avec un budget de plus en plus contraint, seront tentées de transformer les associations en variable d’ajustement. « La perte de financements publics cumulée est de 29 milliards sur quatre ans », alerte Didier Minot [2].
Menace sur l’action sociale et sanitaire
Ces prévisions de destruction d’emplois ne font cependant pas l’unanimité. « Ces chiffres, que je n’ai pas vus dans le détail, laissent une impression d’extrapolation un peu générale. Les baisses aux collectivités conduiraient mathématiquement à des restrictions équivalentes sur les subventions aux associations… C’est sans doute un peu exagéré », nuance Frédérique Pfrunder, déléguée générale du Mouvement associatif, qui fédère notamment des poids lourds du secteur comme la Ligue de l’enseignement, Coordination Sud ou l’Union nationale des associations familiales. Le mouvement reconnaît cependant que la situation est « critique » dans le champ sanitaire et social qui compte la moitié des salariés du secteur à but non lucratif, du fait notamment de la concurrence du privé. Le secteur a créé environ 35 000 emplois depuis 2000. Mais la dynamique s’est fortement ralentie depuis quelques années, selon l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux).
Constat similaire du côté du CAC : la moitié des emplois menacés se situerait dans l’action sociale. Seule alternative : imaginer des sources de financement innovantes pour remédier à la réduction des ressources publiques. C’est tout l’enjeu du rapport sur « l’investissement à impact social » remis le 25 septembre à Carole Delga, secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire. « Les subventions se font plus difficiles à obtenir et l’efficacité des actions menées n’est pas toujours satisfaisante, souligne Hugues Sibille, vice-président du Crédit Coopératif, la « banque de l’économie sociale », qui a présidé le comité à l’origine du rapport. Il faut donc chercher d’autres solutions, une sorte de troisième voie entre le tout marché et le tout État. » L’idée ? Passer de la « dépense sociale » à « l’investissement social », confie Hugues Sibille au journal La Croix. L’une des mesures clés consisterait à créer des « obligations à impact social » (« social impact bonds », en anglais).
Vers une financiarisation du secteur associatif ?
Concrètement, il s’agit de faire financer le programme d’une association par un investisseur privé. Les pouvoirs publics remboursent ensuite cet investisseur privé, avec des intérêts, si l’association a atteint les objectifs qui lui sont définis. Dans le cas contraire, l’investisseur perd tout ou partie de son argent. « Ce dispositif est très proche de celui mis en place avec les partenariats public-privé (PPP), commente Didier Minot. L’État fait une économie apparente à court terme, mais doit ensuite rembourser et payer un surcoût parfois très important. » A l’heure où les partenariats public-privé sont remis en question en France, le gouvernement s’apprête donc à les étendre au secteur social. « Ce dispositif est une façon surréaliste de réduire le déficit public », alerte le fondateur du CAC, qui redoute la disparition du projet associatif afin de répondre à des logiques de productivité, de coûts et de rentabilité. « Vu la situation des finances publiques, il ne faut rien s’interdire », affirme de son côté Charles-Edouard Vincent, directeur d’Emmaüs Défi, interrogé par La Croix.
La réduction des financements des collectivités, ajoutée à la baisse progressive des financements publics de l’État ces dernières années, commence à se faire sentir sur le terrain. « Les crèches parentales voient les financements de la caisse d’allocations familiales se réduire parce que le département ne paye plus son quota », illustre le CAC. Sur les 33 centres sociaux de la capitale, 10 rencontreraient de lourdes difficultés. Sur 140 régies de quartier, 20 connaitraient de gros problèmes économiques. Les associations membres de Culture et Liberté, une fédération d’associations d’éducation populaire, déposent une à une leur bilan. Les Foyers ruraux voient disparaître une fédération par an. Au sein des 73 associations départementales du Planning familial, la situation se dégrade depuis deux ans. Les licenciements se répercutent sur la qualité de l’aide aux personnes, alors que le Planning joue un rôle essentiel pour le droit des femmes.
Et les restrictions budgétaires ne font que commencer. « Nous assistons également à une injonction à la concentration », observe Didier Minot. Qui cite l’exemple du Planning familial, invité à se regrouper en inter-association avec les organisations de lutte contre le Sida. « Cela n’a pas de sens car leurs objectifs sont différents ! » Selon Frédérique Pfrunder du Mouvement associatif, la mutualisation des réseaux associatifs demeure néanmoins une des voies à creuser. « Les associations sont plus fortes quand elles sont fédérées et en réseaux », insiste t-elle.
Entre marchandisation, précarisation et privatisation
Les conséquences des coupes budgétaires pourraient fortement varier en fonction des activités. La part des financements publics est en effet très différente d’un secteur à l’autre. Le développement local ou l’action sociale sont financés à plus de 60% par les subventions publiques. Leur part descend à un tiers ou un quart pour la défense des droits ou le sport [3]. Les petites et moyennes associations (moins de dix salariés) seraient les plus touchées, n’étant pas en capacité de répondre aux appels d’offres qui se généralisent. Certains grands réseaux associatifs se positionnent par exemple sur des crèches parentales, au détriment de petites associations locales implantées depuis longtemps dans les territoires. « Il y a un risque de bipolarisation de la vie associative entre les mastodontes d’un côté, et les petites et moyennes associations de l’autre », appuie Didier Minot.
Les réponses des associations diffèrent. Certaines ont déjà commencé à se serrer la ceinture. Les emplois précaires, dont les emplois d’avenir sont un exemple, commencent à remplacer les emplois qualifiés. D’autres pourraient davantage faire appel aux cotisations et à une augmentation du prix des prestations. « Cela équivaut à une marchandisation du secteur associatif qui va être amené à sélectionner les publics », s’inquiète le CAC. Des associations transforment leur projet pour se configurer aux appels d’offre venus d’en haut, dans un contexte de « privatisation forcée de services publics », dénoncent certains.
« Les pouvoirs publics ne vont pas réduire les coûts mais les accroître »
Le collectif des associations citoyennes appelle à une large rencontre le 3 octobre à Paris (voir leur appel). Une quarantaine de réseaux ont d’ores et déjà répondu. L’enjeu : élaborer un panel de mesures afin que les associations puissent continuer à jouer pleinement leur rôle. Des amendements seront notamment proposés au projet de loi sur la réforme territoriale afin de renforcer l’engagement citoyen et la participation locale. Les associations entendent également développer les partenariats avec les collectivités au-travers de chartes d’engagements réciproques [4]. Des propositions de simplification des procédures ont par ailleurs été récemment transmises par le CAC au député socialiste Yves Blein, ex-rapporteur du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, actuellement en charge d’une mission pour alléger les contraintes qui pèsent sur les associations.
« Il est nécessaire que l’État et les collectivités continuent à préserver les fonds sur la vie associative, précise Frédérique Pfrunder du Mouvement Associatif. Mais les associations doivent prendre en compte les mutations en cours, réfléchir par exemple à développer la vente de prestations. Nous avons intérêt à montrer que les associations cherchent des solutions et ne sont pas sous perfusion d’argent public. » Pour le CAC, il s’agit non pas de désespérer mais bien de mobiliser. En commençant par faire changer le regard sur les associations qui, loin de constituer une charge, jouent un rôle central dans la lutte contre les inégalités et contre les discriminations, l’amorce de la transition écologique, et le débat démocratique. « En détruisant le tissu associatif, résume Didier Minot, les pouvoirs publics ne vont pas réduire les coûts mais les accroître. »
Sophie Chapelle
Dessin : Rodho
Article publié dans Bastamag, le 30 Septembre 2014
Notes
[1] 16,6 milliards en 2015, 33,3 milliards en 2016 et 50 milliards en 2017. Voir à ce sujet le communiqué du Premier ministre du 16 avril 2014.
[2] La baisse de niveau des financements publics aux associations (qu’il s’agisse de subventions ou de commandes publiques) serait de 1,5 milliards en 2014, 5,2 en 2015, 9,20 en 2016 et 13,4 en 2017, selon le CAC.