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La fin du « modèle allemand? »

allemagneLe modèle allemand, maintes fois invoqué pour faire culpabiliser les français et rogner de plus en plus sur leurs droits – notamment à l’assurance chômage – n’échappera pas à la crise. En cause, notamment, le choix fait par Merkel et consorts du mal-emploi et de la précarité pour lutter contre le chômage…

Bientôt l’explosion du « modèle allemand »

Après sa victoire à la Coupe du monde de football, tout semble réussir à l’Allemagne. Si l’on en croit les sondages, plus des trois quarts des Allemands se disent satisfaits de la situation économique de leur pays… Surtout lorsqu’on la compare à celle des autres pays européens. Mais l’avenir s’annonce plus sombre qu’il n’y paraît.

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Cinq menaces vont en effet faire exploser le modèle allemand avant que la décennie ne s’achève : l’extension de la précarité et du mal-emploi liée à la financiarisation croissante de l’économie et des stratégies industrielles ; la pression croissante qui va s’exercer sur l’activité économique du fait de sa forte dépendance aux exportations mais aussi aux biens importés ; la faiblesse persistante des Länder de l’Est ; l’érosion démographique continue ; et, enfin, les difficultés de la transition écologique.

  • Précarité et mal-emploi

Depuis les réformes du marché du travail, entreprises entre 1998 et 2005 par l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder, la précarité et le mal-emploi se sont largement diffusés dans l’économie et la société. Alors que le Parti social-démocrate et les syndicats ont feint de croire qu’ils ne concerneraient pas plus de 5 % des actifs, on découvre que ce sont aujourd’hui plus de 20 % d’entre eux qui vivent d’emplois précaires. Les conditions de travail de nombre de sociétés de services semblent n’avoir rien à envier à celles d’entreprises du tiers-monde. Fin 2013, la dureté des conditions de travail chez Amazon avait fait scandale. En avril, on a découvert que les salariés d’un autre grand de la vente en ligne allemand, Zalando – rebaptisé à cette occasion « Sklavando » –, connaissaient un sort identique.

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Les principales raisons de l’extension de la précarité et du mal-emploi sont à chercher du côté de la financiarisation croissante de l’économie et de l’industrie. Le versement de dividendes croissants aux actionnaires impose, comme en France, une pression croissante et généralisée sur les salaires. Un accord tacite avec les syndicats fait plus particulièrement peser cette pression sur le quart et bientôt le tiers des salariés allemands en situation précaire. L’introduction, d’ici à 2017, d’un salaire minimum devrait atténuer un peu la pression, mais son montant, inférieur au smic français, est étonnamment faible et, surtout, il y aura de nombreuses exceptions, en particulier… pour les emplois précaires : stagiaires pendant les trois premiers mois, chômeurs de longue durée retrouvant un emploi pendant les six premiers mois de reprise d’activité, travailleurs saisonniers…

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  • Dépendance à l’exportation… et à l’importation

On sait que la production a plutôt bien résisté ces dernières années en Allemagne, qui reste un des plus grands exportateurs du monde. Les producteurs allemands, contrairement à leurs homologues français, continuent de produire sur le sol allemand, à partir duquel ils exportent vers les pays étrangers. Cette grande dépendance aux exportations a été utilisée par le patronat comme par les gouvernements pour justifier et légitimer la modération salariale. Mais l’Allemagne n’est ainsi pas à l’abri, bien au contraire, d’une contraction du commerce international et d’un ralentissement des pays émergents. L’aggravation des risques de déflation pourrait également affecter des industriels dont la stratégie est de vendre cher des produits à forte valeur ajoutée.

Le point de vue (en édition abonnés) : Pourquoi Berlin reste hostile à une grande relance européenne

Aujourd’hui, le pays se découvre dépendant des importations cette fois. Les agriculteurs « bio » sont de plus en plus nombreux à abandonner leur activité en dépit d’une demande croissante. Le marché allemand est envahi de produits bio en provenance de pays à faible coût (Europe centrale ou orientale notamment). Ce phénomène, encore marginal, pourrait gagner d’autres secteurs, sous la pression de la large frange de la population dont le pouvoir d’achat reste contraint par la précarité.

  • Déséquilibre entre les Länder

Les « nouveaux » Länder de l’Est restent ceux où ces maux sont les plus forts. Ils continuent, vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, de recevoir des aides des Länder les plus riches de l’ouest du pays. Le processus de rattrapage semble en effet avoir pris fin au début des années 2000. Depuis, les gains de productivité de l’Est ne rattrapent plus ceux de l’Ouest, si bien que l’écart reste globalement inchangé. Les Länder les plus riches (Bavière, Bade-Wurtemberg) ont à maintes reprises déclaré qu’ils ne continueraient pas indéfiniment à payer pour les plus pauvres. La progression du parti de gauche radicale Die Linke à l’Est ne saurait faire oublier que les mouvements violents d’extrême droite se réclamant ouvertement du nazisme y prospèrent aussi.

  • Inquiétante démographie

Enfin, bien que déjà connue mais insuffisamment analysée, l’évolution démographique reste une cause d’inquiétude. La population décroît depuis 2003. Avec un taux de natalité de 1,39 enfant par femme, le pays est incapable d’assurer le renouvellement des générations. Les conséquences sur l’avenir du système allemand de protection sociale seront nécessairement explosives, sauf à ce que la politique mais surtout la culture d’immigration et d’intégration du pays changent de manière substantielle. Car devenir allemand demeure aujourd’hui loin d’être aisé, même pour des personnes nées en Allemagne.

  • Difficile transition écologique

Alors que la nécessité d’engager hardiment la transition écologique fait consensus entre les partis et au sein de la société, force est de constater que cette transition s’effectue avec difficulté. La fermeture de certaines centrales nucléaires a été compensée par l’activation de centrales thermiques au charbon, les énergies renouvelables prennent du retard. Les embarras financiers des géants allemands de l’énergie inquiètent et s’expliquent en partie par le grand retard des investissements publics dans un domaine pourtant considéré comme prioritaire.

L’éditorial (en édition abonnés) : Allemagne, fin de cycle

Bref, l’avenir de l’Allemagne est moins radieux qu’on ne le croit. Il serait de l’honneur des dirigeants allemands de le reconnaître et d’engager quand il est encore temps le débat sur la meilleure manière de faire face à des tendances aussi inquiétantes que prévisibles.

Gabriel Colletis est professeur d’économie à l’université Toulouse-I, chercheur au Laboratoire d’études et de recherches sur l’économie, les politiques et les systèmes sociaux (Lereps). Il est auteur de L’Urgence industrielle ! (Le Bord de l’eau, 2012)

Source : LE MONDE | • Mis à jour le | Par Gabriel Colletis

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