Jean-Baptiste Chastand, sur son blog du Monde revient sur la faillite du principal Opérateur Privé de Placement de chômeurs…qui n’a pas fini de faire couler de l’encre.
Le principal cabinet privé de placement de chômeurs finit dans le mur
Après plusieurs mois de graves difficultés, la totalité des entités du principal opérateur privé de placement (OPP) de chômeurs officiant pour Pôle emploi, C3 Consultants, ont été placées mercredi 9 juillet en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Nantes. Les autres filiales du groupe, placées en cessation de paiement lundi, rejoignent donc le navire amiral, C3 Atlantique, qui avait été placé en redressement en février.
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« Le tribunal a pris la décision qu’il aurait dû prendre depuis cinq mois, cette perte de temps a entraîné une dégradation incroyable de la trésorerie », estime Pascal Bioret, délégué CFDT de C3 Atlantique. Les salaires du mois de juin n’ont pas été versés et un audit financier réalisé pour le compte de la société de conseil Magellan, sollicitée par la direction, prévoit des pertes de 6,6 millions d’euros pour 2014. Lors de l’audience, le procureur de Nantes a par ailleurs demandé au tribunal de commerce que Thierry Frère, le patron du groupe mis en cause dans deux enquêtes judiciaires, soit écarté de la gestion de l’entreprise. La décision sur ce point doit être rendue le 16 juillet.
L’IGAS ETRILLE LE MARCHE
Avec près de 600 salariés, C3 se présente comme le leader du suivi privé de chômeurs, avec 125 000 demandeurs d’emploi suivi par ses soins en 2013. Mais cette année a aussi été un gouffre financier pour l’entreprise, qui a dû faire face à des sanctions de l’Etat en raison de soupçons de fraudes sur ses activités en Seine-Saint-Denis. Une enquête pour « détournements de fonds publics, faux et usage de faux » est ouverte au parquet de Bobigny. La société, chargée de suivre et de placer des jeunes de quartiers en difficultés dans le cadre de « contrats d’autonomie » – une mesure du plan « Espoirs banlieues » lancé sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy –, est suspectée d’avoir produit des faux contrats de travail pour facturer à l’Etat de prétendues « sorties positives » vers l’emploi de ces jeunes en Seine-Saint-Denis.
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Ce dossier s’était soldé par un accord amiable avec l’Etat en novembre 2013. Or cet accord est vertement critiqué dans un rapport définitif de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur ce marché rendu en avril 2014 et que Le Monde s’est procuré. « Par ses carences en défaut de contrôle interne et de management, la mission considère que C3 Consultants n’a pas assuré une prestation conforme à l’objet et aux objectifs du marché », étrille l’IGAS, en estimant que plus de 63 % des 1 132 contrats d’autonomie contrôlés ont fait l’objet d’irrégularités et de falsifications. « Les anomalies et irrégularités constatées ont un caractère systémique » et une « importance exceptionnelle », juge les rapporteurs.
L’IGAS estime que la sanction aurait dû être bien plus lourde, en plus d’avoir plaidé en juillet 2013 pour un arrêt immédiat du marché. A l’issue de cet accord amiable, l’Etat a en effet bien appliqué une réfaction de 1,9 million pour les dossiers contestés, mais il a versé le solde des factures en attente, soit 2,3 millions. L’IGAS estime au contraire que l’Etat n’aurait rien dû verser et plutôt dû récupérer plus de 500 000 euros.
Emanuelle Wargon, la déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) qui a piloté le dossier au nom de l’Etat, conteste ce chiffre dans sa réponse au rapport en assurant que ses services ont mené « un long travail rigoureux de vérification des dossiers mis en cause » et que cette transaction n’est pas « plus favorable pour l’opérateur, mais plus exacte ».
AVANCE DE POLE EMPLOI
Reste que ce soutien jusqu’ici indéfectible de Pôle emploi et de l’Etat à C3 et à son patron Thierry Frère interroge nombre d’acteurs. Pôle emploi a en effet versé en février une avance sur marché de 3,5 millions pour éviter l’arrêt immédiat des activités. Ce type d’« avance de trésorerie n’a à notre connaissance jamais été le cas pour d’autres opérateurs dans des situations similaires« , dénonce Gérard Brédy, président du syndicat des organismes de formation de l’économie sociale. L’opérateur avait alors justifié cette avance par la crainte que des dizaines de milliers de chômeurs se retrouvent sans aucun suivi. Une éventualité qui risque pourtant de se concrétiser de toute façon si C3 doit fermer dans les prochaines semaines. Interrogés en marge de la conférence sociale, ni le directeur de Pôle emploi, ni le directeur de cabinet de François Rebsamen, le ministre du travail et de l’emploi, n’ont souhaité répondre aux questions du Monde.
C3 Consultants fait par ailleurs l’objet d’une autre enquête menée par le parquet de Nantes sur des soupçons d’abus de biens sociaux de Thierry Frère. Placé en garde à vue en mai, il est soupçonné d’avoir fait faire des travaux dans son domicile aux frais de la société. La justice s’interroge également sur le financement du club de basket féminin qu’il présidait jusqu’au printemps. 1,9 million d’euros ont été versés par C3 à ce club entre 2010 et 2013, un montant qualifié d’« d’excessif » par l’administrateur judiciaire. Il faut rappeler que l’immense partie du chiffre d’affaires de C3 est issu de fonds publics.
MARCHE MALADE
De son côté, Thierry Frère estime, dans un communiqué envoyé à la presse mercredi, que ce qu’il qualifie de « retard de paiement de la DGEFP » et de « campagne de dénigrement médiatique » sont responsables de la faillite de son entreprise. « Comment convaincre des banquiers, des investisseurs lorsque, chaque semaine, de nombreux articles salissent l’image de l’entreprise ? », s’interroge-t-il.
Hasard du calendrier, C3 fait faillite alors que la Cour des comptes rend un rapport sévère sur le recours au privé par Pôle emploi. La « gestion principalement administrative » des marchés « n’a pas permis d’engager des expérimentations novatrices » et la « faiblesse et l’irrégularité des flux de demandeurs d’emploi » orientés vers les prestataires privés « ont contribué à mettre en péril (…) certaines prestations, et parfois l’existence même des opérateurs », observe-t-elle. 12 des 23 principaux opérateurs présentent ainsi des risques de défaillance « élevés » ou « très élevés ». C3 Consultants n’est que le plus grave symptôme d’un marché décidément bien malade.