Le Monde.fr | | Par Pierre Cahuc (Ecole polytechnique et Crest), François Fontaine (université Paris-I, Ecole d’économie de Paris) et Franck Malherbet (université de Rouen et Crest)
Fort d’un retour d’expérience sur le contrôle de la recherche d’emploi des chômeurs, le ministre du travail souhaiterait intensifier le contrôle des demandeurs d’emploi. Si l’on doit reconnaître les vertus d’une politique publique qui expérimente un dispositif avant de le généraliser, on peut néanmoins s’interroger sur ce qui pourrait améliorer la situation des demandeurs d’emploi et réduire le chômage.
En abordant la seule question du contrôle des chômeurs, les débats actuels éludent l’une des défaillances les plus profondes de notre système : l’insuffisance de l’accompagnement des demandeurs d’emploi.
L’accompagnement doit avant tout être pensé dans sa globalité. Accompagner, ce n’est pas contrôler ; accompagner, ce n’est pas indemniser. Accompagner, c’est permettre au chômeur d’avoir un contact régulier avec un conseiller qui l’aide à définir un nouveau projet professionnel et qui l’oriente face à l’éventail des formations disponibles. Accompagner, c’est offrir des conseils pratiques sur la recherche d’un emploi : expliquer comment contacter un employeur, exposer les méthodes les plus efficaces pour repérer des offres correspondant au projet élaboré ou définir comment se comporter lors d’un entretien d’embauche.
SUPPRESSION DE L’ALLOCATION PENDANT DEUX MOIS EN PRINCIPE POSSIBLE
Il ne s’agit pas de faire l’économie du contrôle mais de reconnaître que ce contrôle n’est pas un élément isolé : il fait simplement partie du suivi et ne doit pas être réduit à l’existence de sanctions. Il doit reposer sur des critères simples et clairs qui sont là avant tout pour donner des repères utiles sur ce qu’est une recherche d’emploi et pour inciter le chômeur à avoir une démarche régulière et réfléchie.
Depuis 2008, le code du travail précise qu’un demandeur d’emploi peut-être sanctionné s’il ne peut justifier d’acte positif de recherche d’emploi, ne répond pas aux convocations de Pôle emploi ou refuse sans motif légitime, et à deux reprises, une offre raisonnable d’emploi.
Dans ce dernier cas, un emploi est réputé convenable dès lors que le secteur d’activité est en adéquation avec les « compétences » du demandeur d’emploi, que le salaire n’est pas trop inférieur au salaire antérieur et correspond au nombre d’heures travaillées, et que le lieu de travail se situe à plus de 30 kilomètres du domicile ou à plus d’une heure en transport en commun.
En cas de deux refus successifs non légitimes, une suppression de l’allocation pendant deux mois est en principe possible (réduction de 20% pendant 2 à 6 mois s’il s’agit d’un refus d’une formation ou d’un contrat aidé).
UNE DIZAINE DES SANCTIONS CHAQUE MOIS
Les sanctions sont cependant rarissimes, car leur procédure de mise en œuvre est difficilement applicable. Il faut parvenir à démontrer que le salaire offert n’est pas trop faible. Or, l’ensemble des éléments constituant la rémunération échappe souvent au conseiller de Pôle emploi.
En outre, la décision finale échappe à cet organisme, car elle relève du préfet. Face à cette complexité, aujourd’hui moins d’une dizaine des sanctions chaque mois concernent le «refus d’offre raisonnable d’emploi». Il y a là des marges de manœuvre pour mettre en place un système plus efficace.
Mais le fait que, dans le discours public, la question du contrôle soit séparée de celle de l’accompagnement est symptomatique. Si notre pays n’est pas avare en contrats aidés et en crédits d’impôts dont l’inefficacité est souvent avérée, il accorde encore des moyens trop insuffisants à l’accompagnement. Une situation en est emblématique : c’est souvent dans les endroits où le niveau du chômage est le plus important que le nombre de chômeurs suivi par chaque conseiller Pôle Emploi est le plus grand.
Ces manquements sont d’autant plus déconcertants que l’intensification de l’accompagnement est l’une des rares politiques de l’emploi dont l’efficacité est attestée par un grand nombre de travaux académiques. Qui plus est, cette efficacité est constatée autant pour les chômeurs les plus éloignés du marché du travail que pour ceux ayant un risque faible de chômage de longue durée.
« SUIVI MENSUEL PERSONNALISÉ »
La France avait expérimenté en 2006 un dispositif appelé « suivi mensuel personnalisé ». Dans une étude de 2012 pour la direction des études du ministère du travail (Dares), Thomas le Barbanchon et Maëlle Fontaine avaient montré que la durée du chômage des demandeurs d’emploi bénéficiant d’un renforcement – même modeste – de l’accompagnement diminuait très significativement. Pourtant, cette expérimentation réussie n’avait pas été étendue. Une montée du chômage plus rapide que les moyens de Pôle emploi a empêché la généralisation de ce dispositif.
Bien entendu, embaucher davantage de conseillers n’est pas chose simple et la mobilisation temporaire de partenaires extérieurs à Pôle emploi peut s’avérer nécessaire. Elle permettrait en effet de circonscrire dans le temps l’augmentation des dépenses et de confier les publics les plus difficiles à des conseillers spécialisés.
Au-delà des débats qui ont agité nos élus et au regard de ce que nous savons des politiques qui fonctionnent, la France ne peut faire l’économie d’un renforcement de l’accompagnement des demandeurs d’emploi.