Le revenu

Propositions et revendications

Préambule : un constat alarmant

La question du Revenu (Revenu Universel/ Revenu Minimum Garanti Décent/ Revenu de Base/…) s’est invitée dans la dernière campagne présidentielle. De nombreux chercheurs, économistes, institutions, Think-Tank et théoriciens divers se sont penchés sur la question, historiquement depuis fort longtemps pour certains, plus récemment pour d’autres.

Il est remarquable, et c’est un constat navrant, que les représentants des chômeurs et précaires ne soient jamais consultés sur le sujet. Ils sont pourtant, sans doute pas les seuls, mais surement les premiers concernés. Ils savent également analyser, à partir de la situation actuelle des personnes sur le terrain, ce qu’il ne faut pas faire et ce qu’il conviendrait de faire.

Or ceci ne ressort jamais des analyses des nombreux experts qui se penchent sur la question.

Car en théorie, sur le papier, tout le monde a des droits et personne n’est laissé de côté : sauf que sur le terrain, il y a beaucoup de trous dans la raquette que nos technocrates ne voient pas : pour faire valoir ses droits, dès que l’on sort des cas standard (et de plus en plus de personnes sortent des cas standards avec la montée des petits boulots précaires et de la complexification technocratique), c’est très compliqué et il faut vraiment s’y connaitre.

1 – Les problèmes vécus par les chômeurs et précaires

Nous parlerons dans cette partie essentiellement des 3 dispositifs d’indemnisation des précaires (ARE/ASS/RSA) et de leur articulation avec un salaire lui aussi précaire (petits boulots de plus en plus répandus) et avec la Prime d’Activité.

1.1. RSA et ASS : montant notoirement insuffisant

Autour de 500€, un peu plus ou un peu moins suivant les conditions, alors que le seuil de pauvreté est à 1000€, que 14% de la population est en dessous de ce seuil, que tout le monde sait bien que l’on ne peut pas vivre avec cela : c’est une allocation qui donne bonne conscience, mais qui, en fait, enfonce encore un peu plus la tête sous l’eau de ceux qui la perçoivent.

1.2. Un système à plusieurs étages qui engendre des ruptures de droits

Si vous n’avez plus droit à une allocation (ex. ARE), il faut énormément de démarches pour obtenir l’autre allocation à laquelle vous pourriez prétendre … à condition que … et que … et que …Le temps que vous puissiez justifier de toutes les conditions (situation de famille/avec qui vous vivez/revenus conjoint/patrimoine/autres aides perçues ou à percevoir/…), il se passe des mois où vous restez sans ressource.

1.3. La variabilité des droits et les indus

Chaque mois, il faut justifier de ses revenus et recalculer vos droits. Ce calcul est différent selon qu’il s’agit de l’ARE, de l’ASS, du RSA, ou de la Prime d’Activité (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !)

Ce système engendre automatiquement 3 aberrations :

  • La personne concernée ne peut pas à l’avance savoir ce qu’elle va toucher : C’est chaque mois différent alors que l’on tire le diable par la queue.
  • Le fléau des indus ; ce recalcul se fait toujours avec retard, par ex. le temps que vous ayez vos fiches de paye pour les remettre … on réajuste donc constamment votre indemnisation, et parfois plusieurs mois (ou années) après, et on vous réclame des trop perçus.
  • Il est quasi impossible pour l’intéressé de vérifier si ses droits sont respectés : on ne lui donne pas l’ensemble des données ayant permis à Pôle emploi ou à la CAF de calculer le montant. Et ceci constitue pour nous une atteinte au respect du droit de la défense.

1.4. La familialisation des droits

On enquête en permanence sur votre vie privée : non seulement sur vos revenus, mais avec qui vous vivez, comment, pourquoi. Est-ce votre coloc ou votre conjoint ? prouvez-le… Avec un système de contrôle que les administrations se sentent obligées de mettre en place en venant sur place compter le nombre de brosses à dents, ou en demandant copie de vos relevés bancaires sur 3 ans en arrière, en fouillant de façon éhontée dans votre vie privée.

Un système qui engendre une atteinte à la vie privée indéniable. Et c’est pourquoi le MNCP revendique depuis toujours des droits attachés à la personne (et la disparition de la familialisation des droits).

1.5. La complexité administrative, le contrôle et la suspicion permanente

C’est ce que l’on nomme en général « la stigmatisation ».
Pour faire valoir ses droits, il faut d’abord vous conditionner en « demandeur » (non automaticité), remplir énormément de papiers avec justificatifs, que l’on va ensuite contrôler, parfois avec des appareils spéciaux (lampe bleue) car vous êtes mis en permanence en soupçon a priori de fraude potentielle. On fouille dans votre vie privée. Les règles (ex. calculs de l’indemnisation) sont tellement complexes que vous ne pouvez plus contester une erreur de droit. On vous renvoie sur des « simulateurs » qui bien sûr ne font que des estimations et n’ont aucune valeur contractuelle.

On explique souvent le non-recours par cette complexité administrative. Ce n’est pas la seule explication, mais, certes, c’est est une.
Et les règles sur le cumul, chaque fois différentes et incompréhensibles, découragent les intéressés de reprendre un emploi.

1.6. Une gouvernance incohérente

Il y a trop d’interlocuteurs. 2 exemples :

  • ARE : pour quelqu’un qui a travaillé en contractuel de la fonction publique (ou pire, un peu dans la fonction publique et un peu dans le privé), ce sont des allers et venues continuels entre Pôle Emploi et la collectivité concernée ; c’est la galère pour faire valoir ses droits.
  • RSA : dès qu’il y a un problème, les CAF et les Départements se renvoient la responsabilité. Et l’allocataire se retrouve impuissant devant cette machinerie.

On pourrait citer d’autres exemples comme l’articulation entre l’ARE et l’ASS qui, comme toujours, fonctionne bien dans le cas simple, mais ne s’articule plus correctement pour un CLD qui retrouve quelques mois de travail.
Tout cela pour dire qu’il faut 1 ou 2 responsables, et si possible pour l’ensemble des prestations concernées.
L’idéal : un seul gestionnaire (voir plus loin dans les propositions) pour l’ensemble des prestations ARE – ASS – RSA – Prime d’Activité.

2 – Défauts et contradictions des remèdes habituellement proposés

En schématisant, on peut classer les remèdes proposés en 2 catégories :

2.1. Le Revenu Universel

Avantages

  • Il est automatique (il n’y a pas besoin de le demander) ;
  • Il est inconditionnel ou universel : on ne stigmatise plus une partie de la population ;
  • Il est invariable : plus besoin de déclarer vos revenus mois par mois et de vous contrôler en permanence ;
  • Il est individualisé : suppression de la « familialisation » et respect des droits à la personne.

Inconvénients

On ne parle jamais de l’articulation avec l’emploi salarié. Il est évident que dans sa forme la plus ambitieuse (un RU autour de 1000€ attribué à chaque adulte), il aura des effets sur l’emploi et sur la recherche d’emploi qu’il conviendrait d’analyser.

Idem avec 500€, correspondant au RSA actuel, nettement insuffisant pour certains, alors que d’autres (en s’organisant à plusieurs) sauront parfaitement se débrouiller.

2.2 Le Revenu Minimum Garanti

Le montant généralement avancé est de 1000€ (seuil de pauvreté) pour une personne seule (et donc plus pour couple ; enfants, …).
Mais le RMG nous fait tout de suite entrer dans le cercle infernal « situation familiale/autres revenus/contrôles/mise sous tutelle/stigmatisation/complexité administratives/indus/soupçons de fraude/… » : On montre le pauvre du doigt.

Par ailleurs, le RMG ne peut pas être automatique : il faut le demander, s’humilier. Le non-recours sera toujours important sur le RMG.

Comme on le voit, les 2 systèmes sont en défaut et le choix à faire n’est pas l’un ou l’autre, ni l’un contre l’autre, mais trouver une synthèse qui annihile au maximum les inconvénients de chacun.

3 – Pour un système cohérent qui évite les pièges du revenu universel et du revenu minimum garanti

Depuis des années, le MNCP milite pour un Système Unifié et Universel d’Indemnisation du chômage (SUUI). Ici, nous aurons à développer et préciser les choses.

3.1 D’abord une réforme fiscale

Il faut supprimer la « familialisation », de l’impôt, seul moyen de parvenir réellement à mettre en place des «droits à la personne», d’éviter tout le système de méfiance et suspicion et intrusion dans la vie des gens, d’éviter les atteintes à la vie privée.
Chacun déclare ses impôts ; les enfants sont pris en charge par l’un ou l’autre des parents.

3.2 Des droits construits sur une base annuelle à partir de la déclaration d’impôts

D’abord (bon point pour l’administration fiscale), c’est la seule administration qui vous fasse confiance a priori. Bien sûr, il y a des contrôles, mais a posteriori. On commence par vous croire. Tout est déclaratif et on calcule vos droits à partir de votre déclaration.

Ensuite, les prestations et indemnisations auxquelles vous avez droit ne doivent pas varier chaque mois (ou chaque 3 mois) avec toutes les incertitudes et les indus que cela génère. On verra plus loin qu’un système de taquets (haut et bas) permet de régler les problèmes de chute des revenus, ou au contraire de revenus nouveaux (ex. reprise d’un emploi) en cours d’année.

3.3 Un système d’indemnisation à 3 étages

3.3.1. 1er étage : un Revenu de Base
  • Autour de 500€ pour tout adulte de plus de 18 ans,
  • 200€ ou 300€ pour les enfants (en remplacement des allocations familiales et versé dès le premier enfant,
  • Automatique, non différentiel, il peut être :
    • Soit universel (mais il faudra alors revoir les tranches hautes de l’impôt pour que les hauts revenus payent plus qu’ils ne reçoivent et aident ainsi à le financer),
    • Soit plafonné : au-dessus d’un certain montant annuel sur votre déclaration fiscale, vous n’y avez plus droit.

Dans cette dernière hypothèse, il faut que le seuil soit élevé (30000€ ou 36000€ par an, soit 2500€ ou 3000€ par mois) pour que l’effet de seuil n’ait pas trop de conséquence sur l’individu, et pour que ce revenu ne soit pas un revenu « social » pour personnes dans le besoin.

3.3.2 2ème étage : les revenus du travail ou des allocations chômage

ainsi que les autres revenus de remplacement (Maladie, Handicap, maternité, retraite)

3.3.3 3ème étage : un Revenu Minimum Garanti

Pour certaines personnes, sans autre ressource, le Revenu de Base sera nettement insuffisant, d’où ce 3ème étage.

  • Il n’est pas automatique, mais sur demande ;
  • Il remplace le RSA et la Prime d’Activité actuels,
  • Il est calculé annuellement sur la base des revenus fiscaux, ou, pour ceux qui ont une chute brutale de revenu, sur les 3 derniers mois ;
  • Il sera inévitablement (et malheureusement) familialisé comme le RSA. Avec tous les défauts que cela comporte (complexité administrative – contrôles – atteintes à la vie privée – …) ;
  • Son montant doit permettre à toutes et tous de passer le seuil de pauvreté.

3.4 Que devient alors l’ASS ?

L’ASS a un atout qu’il faut préserver, c’est qu’il donne des trimestres de retraite comme l’ARE. Si donc l’ASS disparait, il faut au préalable conserver (et améliorer) cette disposition : Tout Demandeur d’Emploi en recherche effective d’emploi qui demande le RMG doit avoir droit à un gain de trimestres suivant la même règle que pour l’ARE.

4 – Pour une gouvernance cohérente et unifiée

Depuis des années, le MNCP cherche à simplifier les dispositifs. Pour cela, il faut regrouper l’ensemble RB, Allocation chômage et RMG sous une seule gouvernance et un seul financeur. C’est la multiplication des financeurs et des opérateurs (Etat, Département, CAF, UNEDIC, Pôle Emploi, Partenaires sociaux, fonctions publiques pour leurs contractuels, …) qui engendre la confusion et des ruptures de droits. Nous proposons :

  • Une seule caisse pour l’ensemble des financements, qu’ils proviennent de l’Etat (impôt) ou des cotisations sociales ;
  • Une gestion tripartite (Etat–Patronat-Syndicats);
  • Un pilotage quadripartite : on fait une place aux organisations représentant les chômeurs et précaires afin qu’elles soient régulièrement informées et consultées sur les améliorations à apporter ;
  • Les départements n’interviennent plus dans le financement, mais gardent la responsabilité du soutien et de l’accompagnement des personnes qui demandent le RMG ;
  • Une réflexion est à mener sur l’opérateur qui verse les prestations (ARE-RB-RMG) : l’idéal serait un opérateur unique, mais peut-être faut-il conserver l’ARE à Pôle Emploi et le RB et le RMG aux CAF ou aux services fiscaux, ou créer de toutes pièces un opérateur unique.

5 – Coût et financement

Pour une organisation représentant les chômeurs et précaires, la priorité est d’exprimer les besoins de ses mandants, ce qui nous amène à constater que 1000€ (500€ de RB + 500€ de RMG), c’est vraiment un minimum en dessous duquel on ne peut pas descendre.
La société dans son ensemble, ses électeurs et ses responsables élus, aura à décider du niveau de solidarité qu’elle est prête à mettre. Elle pourra peut-être décider que le système proposé est bon mais que l’on peut faire plus, ou que l’on peut faire tout de suite, ou qu’il faudra procéder par étape avec des montants plus faibles au départ.

Quant aux sources de financement, le MNCP a toujours exprimé sa préférence : Un Système Unifié et Universel d’Indemnisation (SUUI) qui financerait l’ensemble (ARE – ASS et RSA dans le système actuel, ARE-RB et RMG dans le système proposé), financé en partie par l’Etat (impôts) et en partie par l’entreprise. Pour la part « entreprises », il faut élargir l’assiette, et donc remplacer les cotisations sur salaires par des cotisations sur la totalité de la richesse produite (par les hommes, les machines et la totalité de l’activité de l’entreprise), c’est-à-dire sur ce qu’on appelle la Valeur Ajoutée de l’Entreprise.

D’autres voix se font entendre : réforme de l’impôt, CSG, TVA, … Le débat est ouvert mais on ne peut pas en rester à la cotisation sur salaires qui a des impacts très négatifs sur l’emploi et fait payer plus les entreprises de main d’œuvre. En revanche les entreprises fortement capitalistiques à forte valeur ajoutée et peu de main d’œuvre, utilisant des machines et process très automatisés, devront davantage être mises à contribution avec une cotisation sur la VA remplaçant la cotisation sur les salaires.