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Même au chômage, les hommes ne lavent pas le linge

homme-ménageGrâce à un surcroît de temps libre, un homme sans emploi s’occupe un peu plus de ses enfants. Mais il ne nettoie pas plus souvent les vitres. Quant à tourner le bouton de la machine à laver le linge, cela reste hors de son champ de compétences. La doctorante Myriam Chatot a mené une étude sur le sujet. Entretien concret.

n homme au chômage passe-t-il plus souvent l’aspirateur ? La question peut sembler déplacée : a-t-on idée d’accabler quelqu’un qui vient de perdre son emploi en lui demandant d’aller nettoyer les toilettes ou le réfrigérateur ? Mais après tout. Alors que toutes les études montrent que les inégalités domestiques demeurent majeures au sein des couples hétérosexuels, la crise économique pourrait au moins être l’occasion de rééquilibrer les tâches.

La question avait été étudiée au début des années 2000 par la sociologue Muriel Letrait, chiffres de l’INSEE à l’appui. La chercheuse s’était rendu compte que les hommes perdant leur emploi consacraient plus de temps au bricolage, au jardinage. Plus marginalement aux promenades, au sport, aux jeux, aux courses et à la télévision.

Certes, les chômeurs consacraient plus de temps aux travaux ménagers, aux soins et à la cuisine. Ils s’occupaient aussi deux fois plus de leurs enfants. Mais, expliquait Muriel Letrait, « l’ampleur de ce phénomène reste néanmoins assez limitée puisque près de 40 % des chômeurs n’ont pris en charge aucune tâche ménagère et un chômeur sur deux ayant des enfants de moins de quinze ans n’a pas déclaré leur avoir consacré du temps au cours de la journée de référence. Les variations constatées par rapport aux hommes actifs occupés suggèrent donc seulement un léger élargissement des activités des hommes vers des tâches plus traditionnellement féminines ».

La situation a-t-elle évolué depuis ? Doctorante à l’EHESS, Myriam Chatot a publié un mémoire, récompensé en 2014 par la CNAF, sur les pères au foyer en France. Un travail plus qualitatif que quantitatif. Elle a cherché à savoir concrètement dans quelle mesure le non-emploi avait un impact sur les tâches domestiques. Entretien.

Le chômage d’un homme conduit-il à un changement dans la répartition des tâches domestiques ?

Oui et non. Muriel Letrait avait montré que les hommes chômeurs consacraient plus de temps à des activités traditionnellement masculines comme le bricolage ou le jardinage, comme s’ils essayaient de compenser à la maison leur perte d’identité masculine dans la sphère professionnelle. Les pères au chômage que j’ai rencontrés se définissent comme pères au foyer. Cela crée une ambiguïté, peut-être une spécificité. Un père au foyer s’implique plus par exemple dans sa tâche parentale.

Comment expliquer qu’il n’y ait pas un investissement plus important ? Ce n’est donc pas une question de temps ?

Non, ce n’est pas une question de temps. La plupart des hommes que j’ai rencontrés ont fait des arbitrages : ils s’occupent beaucoup des enfants, mais sinon, passent beaucoup de temps dans une optique de reconversion professionnelle. Certains dans le secteur associatif. D’autres dans de petites tâches qui pourront être valorisées plus tard sur le plan professionnel.

À vous lire, et bien que travaillant, les femmes vivant avec des chômeurs ne sont pas pour autant exemptées des tâches ménagères qui leur incombent généralement ?

Effectivement. La sociologue Armelle Testenoire l’a analysé. Quand la femme gagne plus que son conjoint, elle opère un mécanisme de compensation : elle décide de limiter sur le plan symbolique le fait que l’homme gagne moins, soit moins viril. Cela se traduit dans les tâches ménagères. De plus, concernant les tâches parentales, il est très difficile à une mère de renoncer totalement à s’occuper des ses enfants quand elle rentre au foyer. Il y a beaucoup de mères qui se lèvent la nuit quand les enfants pleurent, alors qu’elles vont travailler le lendemain et pas le père. Cela peut paraître paradoxal. Mais pour les mères, c’est aussi un moyen de maintenir un lien fort avec l’enfant.

Donc la responsabilité est plutôt à chercher du côté de la mère ?

Il y a deux mécanismes qui se nourrissent l’un l’autre. Il y a une réticence des mères à se désengager auprès des enfants mais elles ont souvent aussi dans les tâches ménagères une exigence plus importante. Par exemple, elles vont vouloir que le linge soit repassé, alors que les pères disent s’en moquer. Les hommes disent facilement : « Ma conjointe le fera », « De toute façon elle repasse derrière moi alors autant que je la laisse faire », « Ça je n’aime pas trop, et elle, elle le fait bien volontiers » ou encore « Je le ferai plus tard ». C’est très vrai pour des tâches comme laver les vitres, nettoyer à fond une pièce ou les toilettes. Ils ne sentent pas l’urgence, contrairement à leurs conjointes. Et celles-ci se retrouvent presque par défaut à endosser ces tâches le week-end.

Comment expliquer cette différence d’appréciation de l’urgence, par exemple pour le linge ?

C’est la grande question. On attribue ça généralement à la sociabilisation, à la façon dont les petites filles et les petits garçons sont éduqués. Pour moi, cela n’explique pas tout, mais je n’ai pas forcément de meilleure explication à donner.

Qu’est-ce qui fait qu’une femme est dérangée par une vitre sale et pas un homme ?

Je ne sais pas. Cela vient probablement des pressions qu’on fait peser sur les femmes, l’idée qu’elle doivent avoir un bel intérieur. Peut-être les pressions hygiénistes aussi, avec l’idée qu’un logement sale risquerait de rendre leur enfant malade. Jean-Claude Kaufmann, qui a beaucoup travaillé sur le linge, constate la même chose dans ses travaux. Les femmes ont intériorisé que cela doit être fait tout de suite sinon c’est la fin du monde.

Quand les femmes font ces travaux le week-end, est-ce qu’elles font plus d’heures que les hommes au final ?

Un père seul à la maison s’occupe plus des enfants. On ne laisse pas un bébé dans le caca. Mais la vaisselle, elle, ne pleure pas. Et en termes de tâches purement ménagères, il est donc possible que les femmes en fassent au moins autant voire plus parce qu’elles vont faire un grand ménage le week-end.

Existe-t-il une répartition généralisée des tâches ?

La répartition se fonde sur les goûts déclarés. C’est marrant qu’il y ait autant de pères qui déclarent aimer faire la vaisselle et aussi peu le linge. Les hommes apprécient les tâches plus valorisantes, comme la cuisine. Pour autant, le linge, aujourd’hui, ce n’est pas très pénible : il suffit d’apprendre à trier une machine ; on lance le programme ; on étend. Ce n’est pas surhumain : il y a juste un bouton à tourner. Mais il y a une résistance.

Pourquoi les hommes aiment-ils les lave-vaisselles et pas les lave-linges ?

Le linge renvoie peut-être plus au sale que la vaisselle. Ou alors c’est peut-être que le linge est plus associé au repassage, qui est certainement la tâche la plus pénible, la plus ingrate, la plus fastidieuse, la moins visible. En même temps, il y a plein de couples qui ne repassent pas et où le linge continue à être pris en charge par les femmes. Je me demande s’il n’y a pas aussi le fait que c’est une tâche qui demande un apprentissage initial plus important. On a tous vu quelqu’un passer l’aspirateur ou le balai. On ne peut pas dire qu’on ne sait pas comment faire.

En revanche, le lave-linge est relégué dans la buanderie, la cave ou la cuisine. On ne voit pas forcément la personne le faire. Peut-être qu’il n’y a pas cet apprentissage initial qui permet plus facilement de dire : « Tu vois, je ne sais pas faire, j’ai sorti une lessive toute rose, je ne savais pas qu’il fallait trier. Désolé, il faut que ce soit toi qui le fasse. »

C’est aussi la charge la plus typiquement féminine. Les hommes peu à l’aise dans un rôle féminin n’ont pas envie de la prendre en charge. Cette question du linge s’étend d’ailleurs jusqu’à l’achat de vêtements. Ça a été une surprise pour moi mais tous les pères m’ont dit que leur conjointe s’occupait de l’achat des vêtements pour les enfants, et parfois pour eux-mêmes.

Dans votre recherche, vous vous êtes également rendu compte que les tâches administratives étaient dévolues aux femmes, même quand elles sont très prises par leur travail.

Oui. Des tâches comme la question des impôts, les relations avec la banque, tout ce qui est questions de santé, CAF, tout ce qu’on entend par paperasse, généralement, ce sont les femmes qui s’en chargent. Les hommes se déplacent dans la journée au sein des institutions quand c’est nécessaire. Mais ils ne s’occupent pas de la paperasse. Ça ne prend pourtant pas plus de temps.

Le regard de la société pèse-t-il sur l’investissement domestique des pères ?

Il pèse beaucoup, je ne sais pas s’il joue. Tout dépend de l’âge. Les jeunes générations peuvent se montrer enthousiastes, surtout les femmes : « J’aimerais bien que mon conjoint fasse ça ! » Mais il y a aussi beaucoup de regards négatifs. Soit des générations plus âgées, soit des gens qui trouvent que père au foyer, ce n’est pas un modèle.

Un père me racontait qu’à la sortie de l’école, il était le seul papa face à un groupe de mamans, et était confronté à des regards suspicieux, stigmatisé comme un pauvre type, une épave qui n’arrive pas à trouver de travail. Un autre père, sculpteur, qui venait le midi à l’école, était pris pour un pédophile. « Attention, il est entré dans les murs ! » Cette méfiance devait être assez violente à vivre.

Et puis il y a parfois la stigmatisation des parents de la conjointe, le côté gigolo, homme entretenu, paresseux, qui se tourne les pouces à la maison pendant que leur fille trime. Les pères trouvent la parade en répondant : « Et si c’était votre fille qui restait à la maison ? Vous diriez la même chose ? »

Source : article Mediapart, publié le 22 Août 2014

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