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Chômage : comment « je suis redevenu un être humain » en retrouvant un emploi

logo-nouvel-obsFrançois Rebsamen a prévenu : les chiffres du chômage annoncés ce soir ne seront pas bons. Olivia et Hervé, eux, ont retrouvé du travail. Ils racontent.

Plus de cinq millions de personnes sur le carreau. Pôle emploi publie les derniers chiffres du chômage ce mercredi 27 août. Et depuis des mois, la série noire se poursuit sans qu’aucun prévisionniste n’entrevoie un retournement rapide de la conjoncture. François Rebsamen ne s’attend d’ailleurs pas à une diminution pour le mois de juillet. Au cœur de cette dépression collective, une expérience réussie peut paraître une goutte d’eau. Pourtant…

Découverte de la discrimination de l’âge

Depuis février, Hervé Le Biez revit : à 48 ans, il a retrouvé un poste de directeur administratif dans une société de recyclage de déchets dans les Hauts-de-Seine. Il a rencontré son nouveau patron alors qu’il était dans l’entreprise pour une mission. Deux ans auparavant, pris par le sentiment d’avoir fait le tour de son job, il avait démissionné. « Même pas peur », persuadé qu’il était de retrouver un emploi dans la semaine. La semaine s’est transformée en mois, le mois en année…

Je n’avais pas réalisé qu’après 40 ans, on n’a plus le droit de vouloir changer. A 46 ans, sur le marché du travail, vous vous heurtez à la plus grosse discrimination qui puisse exister. »

Difficile de comprendre que le marché du travail ne veut plus de vous quand, dans le même temps, on vous prépare à devoir travailler plus longtemps. Son conseiller Pôle emploi l’avait bien prévenu : « A votre âge, ça va pas être facile ». Sa rencontre avec des bénévoles de l’association Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) lui a permis de tenir tout au long de ce parcours du combattant : « Tout à coup, je suis redevenu un être humain. »

« L’impression de n’être plus qu’un numéro qui doit s’actualiser »

Accompagné pendant ces deux années difficiles par des bénévoles de l’association, il a d’abord retrouvé un contact social. Des discussions, des débriefings mais aussi de la sophrologie, des visites de musées : « Sortir du chômage, sortir un moment des statistiques, redevenir une personne à part entière. »

Sans ce soutien, Hervé ne sait pas ce qu’il serait devenu. A Pôle emploi, il avait « l’impression de n’être plus qu’un numéro qui doit s’actualiser une fois par mois ». La mission du service public est de mettre en contact l’offre et la demande, pas de créer du lien social. Hervé connaît son secteur, il sait remplir un CV, rédiger une lettre de motivation. Pôle emploi répartit logiquement ses moyens vers ceux qui en ont le plus besoin. Faut-il y voir un échec des politiques publiques ?

Par rapport aux volumes traités, tous les mois, des centaines de milliers de personnes rentrent dans le travail. On ne peut pas dire que Pôle emploi ne fonctionne pas. Ce qui ne va pas, c’est d’abord la conjoncture économique », rappelle Gilles de Labarre, président de SNC.

Chacun connaît désormais dans son entourage une personne qui a perdu son boulot. Le regard porté sur le chômage et les chômeurs évolue pourtant moins vite que les chiffres : « ils auraient déjà trouvé s’ils voulaient vraiment travailler, ils ne se lèvent pas au lieu de chercher, les chômeurs sont trop indemnisés »… Pour Gilles de La barre, « nous sommes face à un paradoxe global : on stigmatise les chômeurs alors que le chômage est la principale peur des Français. Ce regard tarde à changer. »

« Pas 30 ans et encore au chômage »

Comme Hervé Le Biez, Olivia Régisseur, 33 ans, a subi plus d’un an et demi de chômage après deux ans dans la même boîte :

J’ai longtemps pris ma situation personnellement alors qu’il y a bien un aspect conjoncturel. Je me rendais coupable. On me faisait sentir coupable. Même en blague, s’entendre dire qu’on est une  profiteuse du système, c’est violent. Alors que je n’étais même pas indemnisée. »

A sa sortie de fac, master 2 de sociologie en poche, Olivia avait déjà cherché un an, inscrite au chômage, avant de trouver un premier job dans une petite structure d’études statistiques. Elle y est restée deux ans avant de s’effondrer : après six mois d’arrêt maladie, elle a fini par démissionner. Victime de harcèlement moral ? En partie sans doute mais, avec le recul, Olivia réalise qu’elle était dans le surinvestissement, qu’elle ne parvenait pas à se donner de limites.

L’abattement : « Pas trente ans et encore au chômage… » Paumée, isolée, Olivia épluche les blogs sur internet et tombe sur des informations autour de SNC. « J’avais une vraie appréhension à prendre contact : ai-je vraiment besoin, n’est-ce pas de la faiblesse ? Mais je n’avais rien à perdre, alors j’ai essayé. » Les deux accompagnateurs de l’association ont rapidement poussé la jeune diplômée à prendre un petit boulot, le temps de remettre le pied à l’étrier : « Je suis devenue nounou pendant plus d’un an. Ça m’a redonné un cadre, une routine. J’ai repris confiance en moi. »

« Je ne m’inquiète plus pour l’avenir »

De rendez-vous en rendez-vous, les bénévoles l’ont aussi aidée à réaliser que son domaine d’activité était particulièrement bouché et qu’il était normal qu’elle ne trouve pas. Olivia a donc commencé à regarder ailleurs :

Il faut se faire à l’idée de devoir lâcher ses premières espérances, faire le deuil d’un parcours imaginé sur dix ans. »

En lien avec d’autres organismes, SNC met parfois en place des emplois solidaires : avec ses fonds propres, l’association finance l’équivalent de 150 temps pleins par an.

A l’automne 2011, un petit théâtre parisien recrute justement un poste administratif en lien avec la communication, financé par SNC. « On te voit bien là-dedans », ont poussé les deux accompagnateurs d’Olivia. Chargée de com’ puis médiatrice culturelle, son job a évolué et elle travaille toujours dans ce théâtre avec un contrat d’accompagnement dans l’emploi cofinancé par l’employeur et la région.

Un CDI ? J’aimerais bien mais si ce n’est pas le cas, je suis prête pour la suite. Je ne m’inquiète plus pour l’avenir. »

Son nouveau poste, Hervé Le Biez, lui, n’est pas prêt à le lâcher! Il affirme que ses deux ans de chômage ne l’ont pas changé. Ils l’ont en tout cas profondément marqué : « Ce n’était pas une bonne expérience mais c’est une expérience. » En deux ans, Hervé a envoyé quelque 500 CV et obtenu… trois rendez-vous. Le premier voulait un manager avec une expérience d’encadrement de 50 personnes, ce qui n’était pas le cas d’Hervé. Le second lui a clairement dit qu’il était trop vieux et le troisième a fini par prendre un junior, bien moins cher.

C’en est fini du principe de l’emploi à vie

De leur passage par la case Pôle emploi, Hervé et Olivia gardent une certitude née de leur expérience avec SNC : « Si on n’a pas quelqu’un derrière, on n’avance pas. On n’a plus la capacité d’analyse », soutient Hervé. Car jeune ou senior, rien ne les avait préparés à cette situation. Entreprise, éducation, partenaires sociaux, « la France reste sur le principe d’un emploi à vie. 30 ans dans la même boîte, c’est fini mais l’ensemble des acteurs économiques sont figés dans cette vision des années 70 », estime Gilles de Labarre. Il en veut pour preuve les banques qui refusent un crédit à un jeune s’il n’est pas en CDI.

Hervé et Olivia ont regagné le monde du travail. Selon les chiffres de SNC, deux tiers des personnes suivies par l’association ont trouvé une solution positive. Gilles de Labarre a bien conscience qu’il ne s’agit que d’une goutte d’eau. Mais en bientôt 30 ans d’existence et plusieurs dizaines de milliers de personnes accompagnées, l’association a fait la preuve que la méthode mise en place est efficace :

Pour ces quelques milliers, on a été extrêmement bénéfiques. C’est déjà pas mal », considère le président de SNC.

Pour lui, l’essentiel reste de prouver que, même dans un contexte particulièrement difficile, « le chômage n’est pas une fatalité ».

Article publié sur Le Nouvel Observateur, le 27/08/2014

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