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Lettre ouverte à Monsieur Eric Straumann

LETTRE OUVERTE A MONSIEUR ERIC STRAUMANN,
Président du Conseil Départemental du Haut-Rhin

 

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Bonjour Monsieur le Président,

Depuis que vous avez annoncé votre intention de conditionner l’attribution du RSA à l’exécution de 7 heures de bénévolat par semaine aux bénéficiaires du Haut-Rhin, les associations chargées de venir en aide aux personnes en situation de précarité ont majoritairement manifesté leur désaccord avec cette mesure et vous l’ont fait savoir. Mais malgré le jugement du tribunal administratif condamnant votre initiative, vous persistez dans votre entreprise dictée par la méconnaissance de la situation vécue par les personnes concernées.

Retraité de la fonction publique depuis 2005, je me bats depuis lors au sein d’une association d’aide aux chômeurs et précaires de Mulhouse contre les difficultés grandissantes que rencontrent de plus en plus de personnes, mais aussi contre la diminution constante des moyens financiers qui nous sont alloués, mais encore contre les changements incessants des critères d’éligibilité des emplois aidés qui permettent à nos structures de fonctionner, plongeant nos associations dans la précarité et l’improvisation continuelle.

Et voila que le Conseil Départemental se met en tête « d’inciter » les bénéficiaires du RSA à venir nous « offrir » 7 heures hebdomadaires de bénévolat (transformées récemment en 10 heures mensuelles, mais le fond du problème est le même!) sous prétexte de renouer le lien social interrompu…

Mais où avez-vous pêché cette idée, avec qui avez-vous discuté de la pertinence de cette mesure ? Un service bénévole ne peut pas être contraint et les contrats d’engagement RSA sont de fait le plus souvent contraints. Il en résultera souvent une requalification du bénévolat en contrat de travail, au préjudice de l’association que vous mettez ainsi en danger.

Ne savez-vous pas que dans le Haut-Rhin il existe des milliers de bénévoles hommes et femmes, bénéficiaires ou non du RSA, souvent retraité(e)s qui assurent plusieurs jours d’activité par semaine (et non 10 heures/mois qui ne servent à rien) et que sans eux, sans elles, rares sont les associations qui pourraient remplir leur mission : maintenir un minimum de solidarité dans cette société qui affiche beaucoup de bonnes intentions en paroles, mais très peu en actes, surtout quand il s’agit de mettre la main à la poche par une répartition plus équitable du fruit des richesses produites, notamment par une rémunération correcte dut travail…..

Il y a peu encore, Pôle Emploi considérait qu’un demandeur d’emploi ne pouvait pas faire de bénévolat car il n’était pas alors assez disponible pour en rechercher un, et de ce fait il risquait la radiation !

Alors, il faudrait accorder vos violons, car une des causes de dysfonctionnement et de déperdition financière du système d’aide sociale tient à la multiplicité des décideurs disséminés entre les services de l’État, les collectivités locales et les organismes publics, et à leur absence presque totale de synchronisation, entraînant de nombreuses situations sans issue pour les malheureux « bénéficiaires » qui n’entrent pas dans les bonnes cases..Je tiens à votre disposition un catalogue de cas concrets à toutes fins utiles…

Mais s’il est un poste sur lequel les uns et les autres vous ne mégotez pas si je puis dire, c’est celui de la multiplicité des contrôles pour lesquels vous n’êtes jamais à court ni d’effectifs, ni de crédits, ni d’ingéniosité, ni de redondance, comme si les nombreux « bénéficiaires » potentiels du RSA ou autres aides sociales étaient par nature des fraudeurs avérés, et cette idée reçue coûte cher à la collectivité, donc au contribuable, laissez-moi vous le dire !

Pour étayer mon propos, je ne peux que vous inciter à aller voir le film « Moi Daniel Blake  » de Ken Loach, qui a reçu la Palme d’Or au Festival de Cannes 2016, où vous verrez que la situation idyllique de la Grande Bretagne en matière d’emploi dont on nous rebat les oreilles depuis des lustres, n’est qu’une idée reçue de plus, et que le Royaume Uni n’a rien à nous envier en matière de bureaucratie kafkaïenne..

Vous pourriez même en organiser une projection privée dans la belle salle de réunion plénière du Conseil Départemental où l’ensemble des élus, et les responsables d’associations du Haut-Rhin, pourraient avoir un bon débat à l’occasion duquel nous aurions beaucoup de choses à apprendre les uns des autres…

Pour dénoncer le décalage manifeste entre la perception des « décideurs » et celle des associations en contact direct avec les personnes en précarité, 25 associations, de dimension nationale, ont rédigé un ouvrage collectif recensant les idées reçues et les réfutant sous forme d’argumentaire, secteur par secteur, chacune dans son domaine d’activité: logement, emploi, santé, immigration, etc… avec des propositions pour mieux faire connaître la situation réelle et l’améliorer. Je vous conseille d’ailleurs la lecture de cet ouvrage que ce même Ken Loach a bien voulu préfacer pour souligner la similitude des deux côtés de la Manche en matière de maltraitance des personnes en situation de précarité, et que vous pouvez vous procurer dans toutes les bonnes librairies contre la modique somme de 10 euros.

Malheureusement, le point de vue de ces organisations compte pour presque rien dans les médias de masse et les cercles de pouvoir, par conséquent l’opinion publique n’en est pas non plus informée, et les préjugés les plus infondés continuent benoîtement, avec des conséquences délétères sur la conduite des politiques publiques et choix électoraux en cours.

Plus qu’une incitation à faire 10 heures de présence mensuelle dont je ne vois pas bien l’utilité, beaucoup de bénéficiaires du RSA seraient sûrement plus intéressés par la création de nombreux emplois aidés à 35 heures par semaine payés au SMIC sur au moins un an renouvelable. De vrais emplois donc, contributeurs de cotisations sociales, avec un minimum de visibilité et une vraie reconnaissance du rôle des associations dans le maintien d’un lien de solidarité entre tous les membres de la collectivité. Mais pour cela il faudrait que les multiples « décideurs » s’entendent entre eux en matière de financement et de stratégie politique…

Comme tous les citoyens de ce pays, du plus haut au plus bas de la hiérarchie sociale, (les dernières semaines nous l’ont opportunément rappelé ) les personnes vivant en précarité sont sensibles à la perspective d’une amélioration pécuniaire de leur situation, surtout dans un monde où rien n’est gratuit, ni la nourriture, ni le logement, ni quoi que ce soit d’indispensable à la satisfaction de leurs besoins de base.

A travers l’exercice de ma liberté de parole, recevez, monsieur le Président, le témoignage de mon engagement citoyen.

 

André Barnoin,
Responsable du Groupe de Chômeurs et Précaires de la Maison de la Citoyenneté Mondiale de Mulhouse,
Affiliée au MNCP (Mouvement National des Chômeurs et Précaires)

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