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La Justice, nouvelle arme des chômeurs face à Pôle Emploi

JusticePôle emploi ne les convoque jamais, leur refuse une formation ou les radie sans raison? Aidés par un petit groupe de militants et d’avocats, des chômeurs assignent l’organisme en justice pour dénoncer ses manquements.

Responsable syndical, Henri Arnoux se souvient du jour de 2012 où Mohamed K., ex-cadre quinqua de Veolia, a frappé à la porte du bureau de la CGT des chômeurs et précaires des Hauts-de-Seine. Trois ans de chômage, et l’homme n’avait jamais vu la couleur du « suivi personnalisé » promis par Pôle emploi*: pas de convocation, conseillers injoignables… « Il voulait attaquer l’organisme parce qu’il ne respectait pas sa mission de service public, raconte le syndicaliste, au chevet des « privés d’emploi » depuis quinze ans. Je lui ai dit que ce n’était pas un scoop, mais que personne ne pourrait le prouver’. » Mohamed a insisté. « Pour lui c’était un principe, poursuit Henri Arnoux. Il a fini par me convaincre… »

Le chômage est le parent pauvre du droit du travail

Deux ans plus tard, ce va-tout inédit reste une épine dans le pied de Pôle emploi : l’affaire a inspiré d’autres chômeurs désespérés d’être livrés à eux-mêmes. A leur côté, des avocats et des militants qui ne savent pas encore vraiment où ce combat les mènera. « On s’est rendu compte que le chômage était le parent pauvre du droit du travail, alors qu’il est devenu une donnée fondamentale du marché de l’emploi, explique l’avocat Florent Hennequin. Il y a tout un terrain à défricher, des voies juridiques à exploiter, car Pôle emploi ne remplit pas ses obligations envers les chômeurs, alors que le code du travail les définit clairement. »

Membre du Syndicat des avocats de France (SAF), Florent Hennequin a répondu présent quand la CGT est venue chercher de l’aide pour monter le dossier de Mohamed. En quelques mois, lui et une consoeur gagnent une première bataille: saisi d’un référé liberté, une procédure d’urgence pour violation des libertés fondamentales, le tribunal de commerce de Paris oblige Pôle emploi à rencontrer le chômeur sous huit jours et à l’aider à retrouver un poste.

Cinq dossiers au tribunal

Le Conseil d’Etat a finalement cassé la décision sur la forme, au motif que la « condition d’urgence » n’était pas remplie. Mais les avocats ont à nouveau saisi le tribunal il y a un an, en réclamant cette fois des dommages et intérêts pour cinq chômeurs. Cadres ou non, tous secteurs confondus, « nos clients ont écrit plusieurs fois à Pôle emploi pour bénéficier d’un suivi, sans succès, commente Florent Hennequin. Peut-être que certains demandeurs d’emploi préfèrent que les conseillers les laissent tranquilles, mais eux, ce n’est pas leur cas. »

Quand les chômeurs envoient un courrier pour se défendre, ils reçoivent une mise en demeure!

Pendant que l’instruction suit son cours, les avocats organisent déjà leurs prochains combats au sein d’une sous-commission du SAF spécialisée dans le droit des chômeurs. « On se distribue les dossiers quand une personne ou une association nous contacte, décrit Emilie Videcoq, l’autre avocate chargée des cinq dossiers. On se communique nos jurisprudences et on espère former des avocats à ce type de contentieux. » Manque de suivi, mais aussi radiations abusives, trop-perçus, refus de formation… les désaccords entre chômeurs et Pôle emploi ne manquent pas, pourtant peu osent encore saisir la justice.

D’abord parce que « Pôle emploi les emmène dans des voies de contestation internes interminables », pointe Emilie Videcoq. Or « ces procédures ne suspendent pas les recours. Une personne qui demande le paiement de son allocation d’aide au retour à l’emploi dispose de deux ans pour le faire, alors que l’étude de son cas pourra elle-même durer deux ans… » Mais aussi parce que l’institution les tétanise. « Les demandeurs d’emploi ne savent pas se défendre, soupire Rose-Marie Péchallat, de l’association Recours radiation. Dans les cas de trop-perçus par exemple, ils se heurtent à la surdité de Pôle emploi: quand ils envoient un courrier pour se défendre, ils reçoivent une mise en demeure! Beaucoup préfèrent baisser les bras. »

Un « jeu de poker menteur »

La CGT chômeurs reconnaît qu’elle découvre tout juste l’arme judiciaire. « Les avocats n’étaient pas vraiment nos contacts habituels. On s’était enfermé dans une pratique de l’urgence, sans se donner les moyens de réfléchir à l’outil que pouvait être le droit », estime Henri Arnoux, vétéran des occupations d’agences ANPE dans les années 2000. Mais même escorté par un avocat, aller en justice n’a rien d’une promenade de santé. Il faut d’abord trouver son chemin dans le labyrinthe judiciaire. « Les contentieux qui relèvent des ex-Assedic se traitent au tribunal de grande instance et ceux de l’ex-ANPE au tribunal administratif, note Florent Hennequin. Pôle emploi n’a pas de tribunal dédié, comme celui de la sécurité sociale, que les personnes pourraient saisir facilement par eux-mêmes. »

Pôle emploi fonctionne en circuit fermé, sans contrôle, et c’est ça qui est nuisible

A en croire l’avocat, l’organisme a aussi tendance à esquiver la bataille. « Il pratique souvent la politique de la chaise vide et n’était même pas présent lors de l’audience en référé », assure Florent Hennequin.

Dans d’autres procédures, l’institution se désisterait souvent quand elle sent le vent tourner. « J’ai défendu une cliente assignée pour le paiement d’un trop-perçu. Quand nous avons présenté nos arguments, Pôle emploi a abandonné la procédure, il n’y a donc pas eu de jugement. Ma cliente a obtenu gain de cause mais n’a pas pu demander le remboursement de ses frais d’avocats. C’est un jeu de poker menteur qui est choquant face à une population déjà fragilisée », s’indigne l’avocat.

Difficile de mesurer l’ampleur des recours en justice et les retombées pour les chômeurs. Tout juste le médiateur de Pôle emploi notait-il dans son dernier rapport une « multiplication » des courriers d’avocats à l’organisme. Mais le combat sur le manque de suivi, en tout cas, « a aussi une dimension symbolique, assure Emilie Videcoq. Il prend le contre-pied du discours ambiant qui accuse les chômeurs de ne pas vouloir travailler, alors que Pôle emploi ne les y aide pas. »

Son confrère Florent Hennequin veut croire que « si Pôle emploi est condamné, il changera de politique ». « Là, il fonctionne en circuit fermé, sans contrôle, déplore-t-il, et c’est ça qui est nuisible. » Ironique, à quelques semaines d’une polémique sur un possible renforcement du contrôle des chômeurs

* Contacté, Pôle emploi n’a pas donné suite à notre demande d’interview

Article publié sur l’Express, le 24 Septembre 2014

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