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Décryptage de la réforme d’assurance chômage

Le candidat Macron à la présidentielle promettait que « l’assurance-chômage universelle couvrira tous les actifs – salariés, artisans, commerçants indépendants, entrepreneurs, professions libérales, agriculteurs – et facilitera les transitions d’un statut à un autre. (…) Nous ouvrirons également les droits à l’assurance chômage aux salariés qui démissionnent. Tous les cinq ans, chacun y aura droit pour changer d’activité et développer son propre projet professionnel.  La contrepartie de ces droits nouveaux sera un contrôle accru de la recherche d’emploi, pour lequel les moyens de Pôle Emploi seront renforcés et les sanctions rendues justes et crédibles».

L’ANI du 22 février 2018 relatif à la réforme de l’assurance chômage, et signé par tous les syndicats (CFDT-CGC-FO-CFTC-Patronat) sauf la CGT, n’est que la traduction du rapport de force imposé par Macron aux partenaires sociaux. En toile de fond de cette négociation planait la menace d’une étatisation de l’assurance chômage si les partenaires sociaux ne répondaient pas à la commande gouvernementale. Au final, cela s’est traduit par un accord faussement emprunt de progrès sociaux, bourré de communication, et surtout marqué par une orientation négative pour le Service Public de l’Emploi et coercitive envers les chômeurs.

Gouvernance et Financement de l’Assurance Chômage

Le débat portant sur l’articulation entre Assurance, Solidarité et Assistance dans la prise en charge des chômeurs, et par ricochet la gouvernance du régime (Etat ou partenaires sociaux), n’a encore une fois pas eu lieu.  Pourtant, il y a urgence à créer une véritable Sécurité Sociale Professionnelle car la réalité nous « mordille la nuque » : sur 6,6 millions de chômeurs seuls 41,89% d’entres eux perçoivent une allocation chômage (de 1159€ brut en moyenne).

Devant cette situation trois mesures prioritaires auraient dû être prises pour redonner du souffle à un dispositif qu’il faut repenser :

  • La première porte sur le financement de l’assurance chômage : toutes les sommes collectées par le régime doivent être exclusivement réservées à l’indemnisation correcte des chômeurs. L’objectif est simple : indemniser plus et/ou mieux les chômeurs. De fait, l’UNEDIC ne doit plus financer 75% du budget de Pôle emploi (l’Etat devrait lui même financer cet établissement public administratif).
  • Les organisations de chômeurs doivent être obligatoirement consultées sur tout projet les concernant.
  • La FSU, Solidaires et l’UNSA devraient siéger à l’UNEDIC.

Plutôt que de débattre du fond, les partenaires sociaux se sont donc attachés à répondre à l’injonction gouvernementale pour sauver leur pré carré dans le paritarisme. Ils y sont en partie arrivés sur le champ de l’assurance chômage. Mais à quel prix ? Car à y regarder de plus près, les annonces sur les démissionnaires et les indépendants, ne sont que de la poudre de Perlimpinpin.

Les annonces Macron ne sont que de la poudre de Perlimpinpin

Moins d’un an après l’élection présidentielle, il semble que la promesse d’une assurance chômage universelle, en raison de son coût, soit intenable. En effet, selon les estimations, la dépense pour l’indemnisation des démissionnaires serait de 8 à 14 milliards et de 3 milliards pour les indépendants. L’UNEDIC est actuellement en déficit. Selon ses estimations, les comptes seront équilibrés d’ici 2019. Sauf que ces mesures coûtent très cher. Aussi, pour ne pas avoir l’air de se dédire totalement, la ministre du Travail a forcé la main des partenaires sociaux, qui ont réduit les promesses a minima.

Concernant les démissions, les exigences sont telles que le nombre de bénéficiaires est finalement évalué à 35 000 personnes par an (soit 3% du nombre annuel de démissionnaires) ! En effet, il faudra avoir travaillé pendant 5 ans dans la même entreprise et de manière continue. Il faudra également  avoir un projet professionnel avéré (une création d’entreprise ou une reconversion avec formation qualifiante à la clé) et validé, alors que la personne est toujours en emploi, par un opérateur du Conseil en Evolution Professionnelle…. Si c’est le cas, elle recevra alors leur indemnité pendant six mois, au bout desquels aura lieu un contrôle. S’il est jugé que les efforts déployés pour le projet sont suffisants, elle pourra continuer à toucher de l’argent dans les mêmes conditions de temps et de taux que le reste des demandeurs d’emploi.

Malgré ces conditions drastiques, il y a tout de même un important risque d’emballement des salariés sur cette mesure, qui ne connaitront pas ces exigences et vont démissionner sans mesurer les risques, à savoir ni emploi, ni indemnisation !

Pour les indépendants, le résultat est le même : on évalue que seules 29 000 personnes devraient être éligibles à une indemnisation chaque année. Cette mesure visait spécifiquement « les agriculteurs dont les défaillances d’exploitations ont continué d’augmenter en 2017, les artisans, les micro-entrepreneurs, les commerçants indépendants ».

Dans ce cas également, les exigences pour accéder à l’indemnisation sont telles qu’elles risquent d’en décourager plus d’un : il faut avoir créé son entreprise depuis au moins 2 ans, ne pas avoir d’autre revenu, avoir connu la liquidation judiciaire (ce qui n’est jamais le cas pour les auto-entrepreneurs qui mettent simplement un terme à leur propre activité) et avoir réalisé un bénéfice annuel de 10 000 euros.

Le montant de l’indemnisation lui-même est jugé insuffisant : 800 euros par mois pendant 6 mois. Les « travailleurs Ubérisés» (VTC, Livreurs en vélo) par les multinationales, qui sont les plus précaires, seront donc exclu de cette mesure.

Notons enfin au passage que le coût de l’indemnisation des indépendants ne reposera pas sur les épaules de l’UNEDIC puisqu’elle sera assumée par l’impôt, en l’occurrence la CSG.

Deux mesures repoussées « à la saint Glin-glin »

L’ANI,  prévoit de mettre en place deux mesures importantes : l’indemnisation en cas de rupture de la période d’essai à l’initiative du salarié et le bonus-malus sur les contrats courts. Là encore, il est regrettable de constater que ces mesures risquent de se cantonner aux effets d’annonces.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, un salarié qui démissionne pendant sa période d’essai n’est pas indemnisé par l’assurance chômage (sauf cas très précis et restreints). De fait prévoir une indemnisation des salariés démissionnaires serait un réel progrès. Sauf que l’ANI conditionne la mise en place de cette mesure à une évaluation de son coût qui interviendra au mieux en fin d’année.

Concernant le fameux « bonus-malus » sur les contrats courts, l’ANI renvoie la mise en place de cette mesure à des négociations branche professionnelle par branche professionnelle, sans obligation de résultat. Autant se dire que c’est un coup d’épée dans l’eau et que la précarisation des salariés de notre pays va s’amplifier.

Le contrôle soi-disant bienveillant est un discours scandaleux tendant à accréditer l’idée que les chômeurs seraient des fainéants ou des fraudeurs

Alors qu’on nous annonce une embellie sur le marché de l’emploi, rappelons-nous qu’il y a 6,6 millions de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi (dont seuls 41,89% sont indemnisés par l’UNEDIC). Or le volume des offres d’emploi disponibles est évalué entre 200 000 et 300 000… Le compte n’y est pas ! Pourtant, on continue, dans la lancée des quinquennats Sarkozy puis Hollande, à pointer la responsabilité individuelle des chômeurs en développant à tout va le contrôle de leur activité de « chercheurs d’emploi » !

Il existe en effet un corps d’agents de Pôle Emploi en charge de ce seul contrôle. Ils ne rencontrent jamais les personnes contrôlées (choisis via des cohortes ou signalement d’agents) mais doivent se faire une opinion en analysant leur dossier, sans consulter le conseiller référent, avant de décider si on les sanctionne ou pas. Ils sont aujourd’hui 200 sur toute la France, le candidat Macron avait promis de multiplier leur nombre par 5, ce sera finalement par 3 (finances oblige ?).

Mais ce n’est pas tout. La volonté de la Ministre du Travail semble aller vers des sanctions plus lourdes : aujourd’hui, un demandeur d’emploi risque de perdre 15 jours d’allocations si le contrôleur estime qu’il n’est pas assez efficace dans ses recherches. A l’avenir, cela pourrait passer à 2 mois. Comment peut-on soutenir que ces contrôles sont faits de manière bienveillante, pour redynamiser les chômeurs, alors même qu’on va les mettre dans une situation de précarité encore aggravée ? A moins que l’objectif dissimulé de ces contrôles ne soit d’entretenir la peur permanente, pour que les privés d’emploi acceptent n’importe quelle mission, n’importe quel petit job, n’importe quel CDD précaire…

Cette mesure implique, par ailleurs, que 400 salariés de Pôle emploi, auparavant employés à accompagner les demandeurs d’emploi, vont désormais basculer vers les opérations de contrôle. Cette décision intervient alors même que 297 postes devront être supprimés en 2018 et que les contrats aidés ont également été supprimés (- 1200 personnes).

Moins d’accompagnement, plus de contrôles, plus de précarité : on ne va pas vers une pacification des relations entre les chômeurs et leur service public !

 

Marie Lacoste, porte parole nationale du MNCP

Emmanuel M’hedhbi, syndicaliste FSU à Pôle emploi

 

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